Mabawa : ailes de poulet, souvent cuisinées en grillades. Les mabawa sont très appréciés aux Comores.
Le regard des autres : l’un des freins qui nous bloque, nous empêche d’agir et de prendre notre vie en main. Que vont dire les voisins si je sors habillé(e) de cette manière, coiffé(e) de cette manière ? Que va dire la famille, si j’ose dénoncer les actes malhonnêtes de mon cousin membre du gouvernement ? Si je ne fais pas mon grand mariage, que va dire le village ? Refuser de se soumettre à la volonté d’autrui, refuser de laisser les autres décider de son avenir au nom d’un honneur peut-être mal placé ou de traditions à réactualiser, ne signifie pas rompre le lien de solidarité qui constitue l’un des atouts de la société comorienne. Voici une petite histoire issue de la culture musulmane. Nasreddine Hodja, est un héros, un sage, une légende qui a le don de nous faire réfléchir par le rire. Ce petit personnage atypique, drôle, effronté, abruti par son intelligence ou doté d’une idiotie géniale -tout dépend du point de vue- nous pousse à prendre du recul sur ce que nous vivons, sur ce qui nous préoccupe ou sur des situation à première vue banales. Nul besoin de discours et de thèses savantes, Nasreddine prouve à son fils, et par la même occasion, nous prouve, qu’il est absurde d’agir en fonction du jugement absurde de l’autre…
Le fils de Nasreddine avait treize ans. Il ne se croyait pas beau. Il était même tellement complexé qu’il refusait de sortir de la maison. « Les gens vont se moquer de moi », disait-il sans arrêt. Son père lui disait toujours qu’il ne faut pas écouter ce que disent les gens parce qu’ils critiquent souvent à tort et à travers, mais le fils ne voulait rien entendre. Nasreddine dit alors à son fils : « Demain, tu viendras avec moi au marché. » Fort tôt le matin, ils quittèrent la maison. Nasreddine Hodja s’installa sur le dos de l’âne et son fils marcha à côté de lui.
A l’entrée de la place du marché, des hommes étaient assis à bavarder. A la vue de Nasreddine et de son fils, ils lâchèrent la bride et leurs langues : « Regardez cet homme, il n’a aucune pitié ! Il est bien reposé sur le dos de son âne et il laisse son pauvre fils marcher à pied. Pourtant, il a déjà bien profité de la vie, il pourrait laisser la place aux plus jeunes. ». Nasreddine dit à son fils : « As-tu bien entendu ? Demain, tu viendras avec moi au marché ! »
Le deuxième jour, Nasreddine et son fils firent le contraire de ce qu’ils avaient fait la veille : le fils monta sur le dos de l’âne et Nasreddine marcha à côté de lui. A l’entrée de la place, les mêmes hommes étaient là. Ils s’écrièrent à la vue de Nasreddine et de son fils : « Regardez cet enfant, il n’a aucune éducation, aucune politesse. Il est tranquille sur le dos de l’âne, alors que son père, le pauvre vieux, est obligé de marcher à pied ! ». Nasreddine dit à son fils : « As-tu bien entendu ? Demain, tu viendras avec moi au marché ! »
Le troisième jour, Nasreddine Hodja et son fils sortirent de la maison à pied en tirant l’âne derrière eux, et c’est ainsi qu’ils arrivèrent sur la place. Les hommes se moquèrent d’eux : « Regardez ces deux imbéciles, ils ont un âne et ils n’en profitent même pas. Ils marchent à pied sans savoir que l’âne est fait pour porter les hommes ». Nasreddine dit à son fils : « As-tu bien entendu? Demain, tu viendras avec moi au marché ! »
Le quatrième jour, lorsque Nasreddine et son fils quittèrent la maison, ils étaient tous les deux juchés sur le dos de l’âne. A l’entrée de la place, les hommes laissèrent éclater leur indignation : « Regardez ces deux-là, ils n’ont aucune pitié pour cette pauvre bête !» Nasreddine dit à son fils : « As-tu bien entendu? Demain, tu viendras
avec moi au marché ! »
Le cinquième jour, Nasreddine et son fils arrivèrent au marché portant l’âne sur leurs épaules. Les hommes éclatèrent: de rire : « Regardez ces deux fous ! Il faut les enfermer. Ce sont eux qui portent l’âne au lieu de monter sur son dos. »
Et Nasreddine Hodja dit à son fils : « As-tu bien entendu ? Quoi que tu fasses dans ta vie, les gens trouveront toujours à redire et à critiquer. Il ne faut pas écouter ce que disent les gens. »
Maïne
Texte tiré de Sagesses et malices de Nasreddine, le fou qui était sage, Jihad Darwich et B.David
Photo de Une: Atelier d’arts plastiques IEP Bordeaux
Photo de l’article : Pochoir, CCAC Mavuna
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