Rencontre avec Absoir Mohamed, un faiseur de parole washikomori oscillant entre le légendaire mpvandzi Mwendedji et la nouvelle figure du slameur. Absoir s’affirme dans son art et se fait très vite une place dans la scène Fonnkér de la Réunion, après son projet le départ développé au Muzdalifa House à Moroni. Le départ c’est une parole puissante et spontanée qui investie une problématique majeure de la société comorienne, à savoir l’incapacité d’une jeunesse à entrevoir une possibilité de vie ailleurs que dans l’univers hexagonal. Une situation annoncée par un verbe prémonitoire il y a vingt ans de cela dans les Testaments d’un poète des ombres. Désormais installé en région parisienne, Absoir devient cette voix qui désire caresser l’oreille avec des histoires d’un monde, d’une société, son chez lui Comores.
Avec tes amis, tu fondes ‘’les slameurs de la lune’’, pourquoi un club de slam ?
Un club de slam parce que ça ne fermait la porte à personne. On était, certes, les premiers à se mobiliser pour faire parler du slam, mais il y avait déjà des slameurs avant nous. Je pense à Adjmael Halidi entre autres. Ce club était une porte pour l’échange et le partage autour du slam, ce qui s’éloigne du groupe de slam, qui, pour nous, aurait été restreint alors que ce n’était pas notre but. Ce club était aussi un moyen de vulgariser le slam dans notre milieu.
Le slam est un art très récent dans l’archipel des Comores, pourtant il se répand très vite, comment expliques-tu ce phénomène ?
Honnêtement, je ne sais pas. Je suis agréablement surpris. Peu être qu’à notre insu on a fait un bon travail. Peut être qu’on a réussi à donner envie aux plus jeunes de s’approprier cet art et de le défendre sur les fronts.
Ne crois-tu pas en la nécessité d’une dynamique autour du slam comorien ? Concours, festivals…
Personnellement j’y crois et ça fait longtemps que j’y pense. Il faut noter que le slam comorien n’a pas commencé comme l’a été dans d’autres pays. Maintenant que l’envie de slamer est là et que les slameurs sont légion, prêts à concourir, oui une dynamique slam serait nécessaire dans l’archipel.
’’Le départ’’ est un projet que tu as développé au Muzdalifa House à Moroni, parle-nous de ton passage dans ce lieu, qui se veut un espace d’expérimentation artistique et d’agitation citoyenne.
Le départ au Muzdalifa reste ma plus grande expérience artistique. Soeuf Elbadawi m’a fait confiance en m’ouvrant les portes de ce lieu, il m’a mis en espace, ça été ma première représentation en tant que telle. « Le départ » était avant tout un projet de recherche sur un slam comorien, Soeuf Elbadawi a dirigé notre travail je dis notre car je n’étais pas seul, il y avait Fouad Tadjiri à la guitare et Mouigni M’madi au ndzendze. Ce travail m’a beaucoup appris sur mon art mais surtout sur le rapport entre artiste et espace de représentation.
Quelles perspectives après le Muzdalifa House?
En sortant du Muzdalifa House, j’avais l’intention de présenter « le Départ » qui, au final, est devenu un spectacle. Mais ça ne s’est pas passé comme prévu car on n’était pas au complet. Mais on a pu tenir certains spectacles et des ateliers de slam dans différentes régions de Ngazidja. Ce projet comme le nom l’indique interrogeait cette poignante envie de départ chez le jeune comorien, un départ qui le plus souvent a pour destination la France, que ce soit pour les études ou pour d’autres raisons…
On te nomme le Mpvandzi Mwendedji, peux-tu nous expliquer ce que cela signifie?
Un Mpvandzi Mwendedji est un poète itinérant, selon l’historien Moussa Said. Il n’a pas sa langue dans sa poche (ce n’est pas Moussa Said qui dit ça haha ! ) et jouit d’une habileté en matière de joute verbale sans précédent. Je ne pense pas être à la hauteur de ces hommes qui ont défié des sultanats et qui ont marqué la tradition orale comorienne. Le Mpvandzi Mwendedji que je suis essaie de pratiquer son slam tout en questionnant cette force poétique dont le mpvandzi Mwendedji – le vrai – en fut dépositaire.
Parle-nous un peu de ton arrivée à l’île de la Réunion et de ta rencontre justement avec la scène Fonnker de l’île.
Je suis arrivé à la Réunion en tant qu’étudiant, mais je savais avant que cela allait être un tremplin pour le slam. Je connaissais déjà l’association Slamlakour et je pensais qu’on pourrait faire pas mal de choses ensemble. Arrivé là bas je me suis rendu compte que ce n’était pas si facile que ça. D’abord ils étaient de l’autre côté de l’île, puis ils avaient tellement de projets qu’il a fallu que l’on se voit pour la première fois à Madagascar.
Du coup je suis tombé par hasard sur le Fonnkér en participant à un atelier animé par Ingrid Valon. C’est marrant parce que Soeuf Elbadawi m’avait déjà parlé d’elle et lui avait également parlé de moi. Au cours de l’atelier nous avons beaucoup échangé sur nos différentes pratiques du slam, rapidement ça a collé entre nous. Ingrid a commencé à m’inviter à partager des scènes avec elle et ses musiciens, avant que l’on commence à nous programmer tous les deux. On considérait que le Mpvandzi Mwendedji se rapprochait du Fonnkézèr (celui qui pratique le Fonnkér). Au fur et à mesure, je me suis retrouvé dans le cercle prestigieux des Fonnkézèr et je suis tombé amoureux de cette pensée, de cette forme poétique. Le Mpvandzi Mwendedji que je suis se reconnaît quelque part à travers le Fonnkér
Il est des questions très récurrentes chez les artistes, celles de l’originalité et de l’identité, comment te poses-tu ces questions-là ?
Je ne m’attarde pas souvent sur ces questions là. Je considère que je fais un slam comorien. J’ai eu la chance de présenter mon travail dans l’Océan Indien et j’ai toujours été invité en tant que slameur comorien, mais surtout parce que j’apporte quelque chose de différent. Pour l’instant c’est comme ça que je vie ce questions là. Je ne suis pas sans savoir que j’ai beaucoup à apprendre et j’ai du boulot. Je pense qu’à force de travailler on fini par acquérir tout ce dont un artiste a besoin. Je travaille actuellement sur une forme de conte slamé, je ne sais pas si ça existe ou si j’arriverai à le faire, mais j’y travaille.
Fouad Tadjiri
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