Akeem a.k.a Washko est danseur de hip-hop, chorégraphe, directeur artistique, monteur de projet… bref, le milieu de la danse, il le connaît bien. Il grandit aux Comores, à Moroni, jusqu’à l’âge de onze ans avant de déménager en France, à Paris. C’est là bas que s’opère sa rencontre avec la danse hip-hop, deux ans plus tard, par l’intermédiaire de son ami Tip Top. Il fera de cet art sa profession. Il danse aux côtés d’artistes français et étrangers (Mc Solaar, Saïan Supa Crew, la Contrabanda, Black Eyed Peas…), crée l’association Uni’son, participe à de nombreuses battle, propose des stages un peu partout dans le monde, met en œuvre des projets artistiques dans la ville, à l’école, en maison d’arrêt… Il se donne à fond et croit aux valeurs du hip-hop. Ayant de la famille et des amis aux Comores, il n’a jamais rompu le lien entretenu avec son archipel en y retournant régulièrement. Il a ainsi été témoin de l’émergence de cet art urbain au sein du pays en participant activement à sa valorisation et à son essor…
Parle moi un peu du hip-hop aux Comores et comment tu as commencé à t’y investir.
En 2002, la danse hip-hop connaît son explosion à Moroni avec le groupe Invicible Armada et les danseurs Pépère, Chucky, Kaporal Chris… Ayant déjà une expérience, cela m’a fait plaisir de voir ces jeunes pratiquer la danse hip-hop. Du coup, chaque fois que je revenais aux Comores, je leur fournissais les explications dont ils avaient besoin pour s’améliorer et leur ramenais aussi T-shirt, baskets… de quoi les encourager. En souvenir, on prenais des photos pour montrer à mes amis que des jeunes s’investissaient, aux Comores, dans la danse hip-hop. De nouveaux danseurs ont émergé. Leur engouement pour cet art était réel, mais un manque de structures et un manque d’informations techniques sur la manière d’effectuer les mouvements rendait difficile la pratique de cette discipline. De plus, il n’y avait pas Internet. Les jeunes danseurs n’avaient que la télévision pour développer leur danse en essayant d’imiter ce qu’ils y voyaient. Ils avaient beaucoup de mérite pour cela !
Se produisaient-ils en public ?
Non, ils dansaient plutôt entre eux. C’étaient des marginaux ! Les gens les regardaient en se disant “Ils sont fous !”.
Pourquoi ? Ce qu’ils faisaient était mal perçu ?
Oui. En ce qui me concerne, par exemple, l’activité que je pratique n’était pas bien considérée, étant issu d’une famille très pieuse. Mon père était un grand professeur coranique de Moroni. Tout le monde le connaît. Par conséquent, même au sein de ma famille le fait de danser n’était pas bien accepté. Les gens refusent qu’un fils de fundi danse. Heureusement ma mère m’a toujours soutenu.
Cette mauvaise perception n’est-elle pas un peu paradoxale ? Quand on voit par exemple certaines cérémonies du grand mariage, on a l’impression que la danse reste quand même quelque chose de très présente dans la société…
C’est vrai. Mais aux Comores, la danse hip-hop n’est pas acceptée car dans l’esprit des gens, ce sont les “gangsters” qui la pratiquent. Cela ne va pas plus loin. Pour eux, quand tu pars à l’étranger, c’est pour faire des études et revenir travailler dans un bureau. Partir en France et revenir aux Comores pour danser, ça les interroge. Un jour, j’ai rencontré Soihli, un journaliste à l’ORTC (ndlr : Office téléphone et Radio des Comores). Il m’a contacté pour faire une émission sur mon parcours. C’est quelqu’un de très ouvert d’esprit, aimant beaucoup la danse. Nous avons donc effectué l’émission. Quand elle est passée à la télévision, les gens étaient très surpris de mes réponses, après des question telles que: « Comment se fait-il que vous soyez fils de fundi et que vous vous retrouviez à danser ?». J’y ai répondu comme je te réponds : je fais ce qui me parle. Cela ne veut pas dire que je suis irrespectueux ou que je ne respecte pas la religion. Au contraire, je suis quelqu’un de très pratiquant. La danse est mon métier, je gagne ma vie avec.
Et maintenant, le Hip-hop est-il toujours aussi mal perçu ?
La danse est mieux perçue qu’avant. Il y a de plus en plus de jeunes qui s’intéressent au hip-hop. Il y a de cela deux jours, j’étais à un concert à l’Al-Camar, à guichet fermé. Tu sens que ça bouge, même si cet art n’est pas encore bien reconnu. Ailleurs, le hip-hop est entré dans les classiques. Je danse à l’opéra ! J’ai travaillé par exemple avec Coline Serreau et avec Robyn Orlin, une grande chorégraphe Sud-Africaine. Quand tu vas à l’opéra et que tu vois du hip-hop, tu es étonné. Aux Comores, c’est différent. Les gens ne savent pas vraiment ce que tu peux réaliser. Ils pensent que tu ne peux rien faire avec la danse, elle ne sert qu’à amuser la galerie. Mais il y a aussi des personnes très connectées avec ce qui se passe à l’extérieur et qui essayent de faire la même chose.
Y-a-t-il une volonté de s’organiser, de se structurer, de valoriser la danse hip-hop en tant qu’art à part entière ?
Il est clair que le hip-hop n’est pas encore entré dans les mœurs malgré ce que l’on fait. Ça va venir ! Mais encore une fois, le problème réside dans les mentalités. Certaines personnes vont penser à leur intérêt personnel avant de privilégier l’intérêt général et cela ne fait pas évoluer le milieu. Il faut voir émerger une culture hip-hop – rap, graffiti- liée à des valeurs d’entraide et de solidarité pour que les danseurs puissent progresser et se faire connaître au niveau du pays, puis à l’extérieur. Par exemple, si un rappeur a prévu d’organiser un concert et a besoin de danseurs, s’il en a les moyens, qu’il les paye ! Mais s’il n’en a pas les moyens, ce qui est souvent le cas, et bien ces mêmes danseurs doivent le soutenir. C’est pareil lors de la réalisation de clips. Il faut s’entraider. C’est d’ailleurs comme cela que les danseurs vont se faire repérer et être sollicités. Mais pour cela il faut se bouger, se motiver. Et il y a des jeunes qui sont dans cette démarche là.
Quelle est ta place dans tout ça ?
A chaque fois que je viens, depuis 5-6 ans, j’essaye de mettre en place un projet autour des arts urbains. Toutefois, ce n’est jamais évident car j’ai aussi d’autres activités. S’il y a des zones d’ombres, je préfère ne pas m’engager. Lors de la réalisation d’un projet, il faut que les gens avec qui je travaille soient investis.
Quels projets ? Quelles approches ?
Il y a le Centre de Création Artistique et Culturel des Comores (CCCAC Mavuna) que j’ai aidé du mieux que je pouvais. J’ai monté avec des jeunes, pendant dix jours, un spectacle avec de la danse, du slam et du chant que nous avons présenté lors de l’inauguration du centre culturel. Il y avait aussi des rappeurs, Cheikh MC et d’autres.
« mélanger les arts »
Ensuite, j’ai monté le festival Summer Hip Hop Dance 2014 qui a super bien marché. C’était une première. Il y a eu des problèmes d’électricité et de temps mais le lieu, l’amphithéâtre du quartier Oasis, s’y prêtait bien. Il y avait un graffeur qui créait pendant les prestations des danseurs. Il y avait du cirque, des rappeurs, une chanteuse… J’aime bien mélanger les arts, les croiser. Je voulais faire un truc un peu différent, qu’on a pas l’habitude de voir. Les artistes et le public étaient vraiment contents.
« transmettre »
Je fais aussi en sorte de monter des ateliers avec les jeunes et de leur apprendre les techniques qu’ils n’ont pas et qu’ils ont l’habitude de voir sur internet ou à la télévision. Mon but est d’aider les jeunes à s’émanciper et leur faire découvrir des choses qu’ils n’ont jamais vues. Je n’arrête jamais de transmettre aux jeunes ce que j’ai appris. Parfois, ils passent à la maison et je leur donne des sons. Je leur montre aussi des vidéos. « Regardez, c’est ce qui se passe là bas ! Eux, font du Break Old School. Eux, font du New School. Voici, le parcours de ces danseurs connus. Ils sont partis de là…. »
« se faire un nom »
Quand je suis là, j’essaye de faire bouger les choses. Parce que certaines personnes ont un autre esprit : il faut absolument gagner de l’argent. Pourtant, ce n’est pas forcément cela. Il faut d’abord se faire un nom en dansant plusieurs années pour pouvoir ensuite demander des sous. Tu dois montrer que ton art vaut quelque chose. Tu ne peux pas vouloir faire payer les gens alors qu’ils ne savent même pas ce que tu fais !
« vous êtes talentueux »
Un jour, je me suis rendu au CCAC. Il y avait des jeunes éparpillés en train de discuter. Soumette (Comédien, Président du CCAC) et moi les avons rassemblés car il fallait qu’on leur parle. Ils en ont besoin. Ils sont là tous les jours, mais n’ont pas de direction. Nous les avons tous appelés, nous nous sommes posés et avons discuté avec eux. Nous leur avons dit : « vous êtes jeunes, vous êtes talentueux ! Il ne faut pas laisser ce talent vieillir.». Il faut bosser. Si tu t’assois et que tu attends que l’on te donne, tu n’auras rien. Ce n’est pas comme ça que ça marche. Certains n’étaient pas contents, mais c’est ça aussi discuter ! Quelqu’un d’intelligent va écouter ce que l’autre dit et essayer de prendre ce qu’il y a de positif.
Vidéo : réalisée par Robin Delsemme. Danseurs : Washko, Steve et Big
Maïne
12 février 2016 at 13 h 08 min
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