Mohéli la paisible. Pépite volcanique. Pépinière d’un écosystème riche en diversité et en couleurs. C’est sur cette île, disposant d’un parc sous marin protégé, que tu trouveras les derniers lieux de pontes des tortues vertes comoriennes. A bord de ton moyen de locomotion préféré ou porté-e par tes petites gambettes, tu te rends donc à Itsamia, village établi à l’orée d’une plage de sable ocre, au Sud-Est de l’île. Ce sera l’occasion pour toi de rencontrer les habitants d’une localité très concernée et impliquée dans la préservation de cette espèce animale vieille de plusieurs millions d’années.
L’Association pour le Développement Social et Economique d’Itsamia (ADSEI) est porteuse d’un projet d’écotourisme, avec l’appui de partenaires internationaux, en vue de protéger cet animal menacé d’extinction, victime du braconnage et de la pollution. Ainsi, il est possible pour toi d’assister à la ponte avec un de ses membres, éco-garde, et découvrir ainsi, plus qu’un être vivant envoûtant, un véritable projet d’écologie s’articulant autour d’objectifs de développement social.
L’homme ou la femme chargé-e d’accompagner ta découverte t’explique que les tortues ne pondent qu’en l’absence de lumière et te donne alors rendez vous plus tard, dans la soirée. Le temps file paresseusement tandis que tu flanes dans les rues, discutes avec des personnes rencontrées, explores les alentours avant d’aller te prélasser sur la plage. Soudain, des mouvements de sables captent ton attention. Une tête minuscule et enveloppée d’écailles surgit. Des bébés tortues ! Tu les observes s’agiter, tentant de rejoindre l’océan, attirés par ses reflets. Tu es fasciné-e. Des jeunes passant par là t’alertent : quoi qu’il arrive, il n e faut pas toucher ces nouveaux-nés, au risque de les désorienter et d’amenuiser leurs chances de survie déjà très réduites. Ces jeunes sont soucieux de protéger ces petits animaux avec lesquels la cohabitation semble s’opérer naturellement. Cela t’intriguera probablement. Toutefois, demeure aux aguets ! D’autres êtres à la carapace minuscule perceront peut-être la surface sablonneuse…
Le soleil se couche. Seulement quelques minutes s’écoulent mais la nuit est déjà ténébreuse. Tu rejoins ton guide qui te conduis à l’autre bout de la plage, loin des rares lumières d’Itsamia. Vous longez la côte bordée par des cocotiers et des baobabs gigantesques dont la sombre silhouette se dessine telle un pochoir découpé sur le ciel saupoudré d’étoiles. Tout à coup, l’éco-garde s’arrête. Ton regard se baisse. Elle est là. Tortue-mère, hissant sa lourde carapace au sommet de la plage. Puis elle creuse et recreuse, préparant le nid de petits qu’elle ne verra jamais. Des larmes s’échappent de ses yeux. Sûrement trop “humanocentré-e” tu ne peux t’empêcher de les concevoir comme l’expression de la douleur suscitée par cet abandon prématuré. Tu apprends qu’en réalité, ces larmes servent à ôter les grains de sables engouffrés dans les yeux de l’animal.
Les explications de ton guide sont passionnantes. Obnubilé-e par le spectacle saisissant, tu t’abreuves de ses paroles. Enfin, la ponte. Les œufs, pareils à des balles de ping-pong luisantes, tombent dans le trou, le nid que la tortue enfouira sous le sable avant de repartir et de disparaître dans le silence des vagues océanes. Il lui aura fallu de longues heures pour accomplir cette tâche harassante. Tu souhaiterais accompagner une à une les tortues perpétuant la vie au même moment, en d’autre points de la plage. Mais il est tard et, somme toute, ta présence ne leur est pas d’une grande aide si ce n’est celle de reconnaître la valeur de leur existence et la nécessité de maintenir leur présence en terres comoriennes.
De retour au niveau d’ Itsamia, tu remercies le représentant de l’association, échange encore un peu avec lui et t’installes sur la plage. Sous une moustiquaire ou en tête à tête avec les étoiles, tu t’endors, des images fantastiques déposées sur ta rétine et les tympans caressés par les psaumes de l’océan. Au petit matin, les premiers rayons du soleil enjambent l’horizon et sa nappe d’eau salée pour t’extirper de ton sommeil. Réveil solaire. Tu assistes à une nouvelle naissance annonçant celles de petites tortues dont certaines rejoindront d’ici peu l’univers sous marin. Encore étourdi-e par cette intrusion nocturne dans le cycle de la vie, tu salues une dernière fois l’éco-garde qui t’a accompagné-e dans cette aventure. Leur travail est formidable ! Tu la/le remercies de t’avoir fait partager, l’espace d’une nuit, la complicité que la ville d’Itsamia a su établir avec cet animal si solitaire.
A l’issue de cette rencontre, la signification de l’expression ‘”harmonie avec la nature” te paraitra certainement un peu moins floue, quel que soit le lien que tu entretiens au quotidien avec l’environnement. Il s’agit en quelque sorte d’ une piqure d’appel ou de rappel, t’incitant à reconsidérer ton rapport aux êtres vivants. Une leçon d’esprit défiant l’anthropocentrisme. Au revoir… Tu quittes Itsamia, étrange, en ayant le sentiment d’y laisser la solution des maux de l’archipel et du monde, quelque part entre palétuviers et grains de sable…
Maïne
24 janvier 2016 at 16 h 15 min
Un article très intéressant ! Il donne envie d’aller à la découverte d’Itsamia et de ses tortues !