Le football est un support éducatif. Majane en a pris conscience très tôt, à l’âge de 14 ans. C’est en effet en 1992 qu’il décide de participer à l’éducation des jeunes jouant au football dans la rue en leur fournissant un encadrement dans la pratique de leur sport. Il travaille à son compte en tant qu’électricien et consacre du temps aux enfants impliqués dans ce sport collectif. Ainsi, il est un peu devenu le grand frère que se partagent plusieurs générations de jeunes, issus des trois îles. L’avenir de ces enfants et leur bien-être sont sa principale préoccupation. Dialoguer, partager, transmettre des valeurs et permettre l’épanouissement à travers le football. Rencontre avec un homme qui s’est donné pour mission d’aider les enfants qu’il croise sur son chemin…
Peux tu te présenter ? Parle moi de ce que tu fais…
Je suis éducateur sportif et travaille particulièrement auprès des jeunes. Je vis à Caltex (ndlr : à Moroni). C’est un quartier très chaud, avec beaucoup de délinquance. Mon but est de sauver ces jeunes. Il faut encadrer la passion du jeune. Il faut lui donner, lui transmettre. Mais le problème c’est qu’il n’y a pas de moyens (matériels, financiers..). Donc je le fais moi même. Il y a des générations et des générations à Caltex que j’ai encadré ! Parfois je bouge, je vais à Anjouan, à Mohéli. J’éduque ces jeunes. Je leur donne du matériel que je paye moi-même car en tant qu’électricien, je me dis que, quand même, je peux payer. Il y a une fédération de football auprès de laquelle j’ai suivi une formation pour être éducateur de jeunes mais le problème est qu’ensuite, elle ne m’a jamais aidé. Pourtant elle nous a dit « vous allez travailler avec les jeunes » mais elle ne nous a jamais fournit de matériel. Le jeune si tu l’as laissé, c’est fini. C’est terminé. Au lieu de sauver les petits, les gens au quartier boivent et se droguent. C’est un quartier très délicat. Si tu as délaissé le jeune, s’il ne joue pas, c’est fini. C’est pour cela qu’en 1992, à 14 ans, j’ai commencé à les éduquer. J’ai sauvé beaucoup de gens. En 2012, j’étais à Anjouan, dans la région de Moya. C’est au Nord. Je vais te montrer des images… Elles sont vraiment, pour moi… tu vois ces images… Je me suis fait agressé. Les gens ne comprennent pas ce que c’est le football. Ils ne veulent pas éduquer. C’est une quinzaine de jeunes qui m’a agressé, mais ça va changer. Il y a un problème mais il y a aussi une solution.
Comment tu t’organises ?
Je travaille le matin, jusqu’à une heure de l’après midi et j’arrête. Je travaille à mon compte afin de donner du temps pour éduquer les plus jeunes. Je suis allé à Anjouan et j’ai expliqué aux gens qu’il faut les éduquer. Ce sont des enfants qui jouent tout seuls, sans clubs et moi je les regroupe puis je les forme. Je leur dis que le football c’est l’amitié. Je leur transmets des valeurs. Parce que les petits, ils jouent, mais ils n’ont pas l’éducation qui va avec. Car le football, ce n’est pas seulement jouer. C’est aussi l’amitié, la solidarité. Par l’intermédiaire de cette passion, je leurs apprends des choses et je leur dis d’aller à l’école, au shioni (ndlr: école coranique) et à la mosquée. Si on délaisse les enfants, c’est vraiment une catastrophe.
Ils vont à l’école ces enfants ?
Oui, ils y vont. Mais il y en a aussi qui n’y vont pas. Surtout dans le quartier de Caltex. Il y a un quartier à côté, Madjajou, qui est aussi très difficile. Ce sont des quartiers très chauds, vraiment très chauds. Il y a des gens qui jouent au foot. Si je vais là bas je les aide à jouer et en même temps je leur dis d’aller à l’école, au shioni et à la mosquée. J’en profite pour leur transmettre des messages.
Quelle relation avec les familles de ces enfants ? Elles savent ce que tu fais ?
Oui, les familles savent ce que je fais. Parfois elles viennent me féliciter. Elles me disent « c’est bon ce que tu fais parce que maintenant il va à l’école, au shioni et à la mosquée ». C’est un deal. Si tu ne vas pas à l’école, tu ne joues pas. Tu es obligé de suivre mes instructions si tu veux participer à l’entraînement. La famille sait que je fournit une éducation. Je le fais même mieux que les professeurs d’écoles ou du shioni.
Tu as l’impression que les problèmes sont les mêmes entre ce qui se passe à Caltex, à Mohéli, et à Anjouan ? Ou est-ce que c’est différent ?
Ce sont des problèmes différents. A Anjouan il y a beaucoup de problèmes. La région qui s’étend de Sima jusqu’à Moya est à environs 52 kilomètres de la capitale. Il y a des petits qui vont à la pêche et qui vont au champs. Donc je vais là bas, je reste comme ça : j’analyse, je regarde. Lui, qu’est-ce qu’il fait? Il joue puis il va à la pêche. Des petits de 6 ans, 7 ans, 10 ans ! A chaque fois il va à la pêche. Il ne va pas au shioni, ni à l’école mais il joue au foot. Ensuite, je les regroupe tous : ceux qui vont à l’école comme ceux qui n’y vont pas. Et je dis à ceux qui ne vont pas à l’école qu’ils ne peuvent pas jouer tant qu’ils n’y retournent pas. Depuis 2006, il y a une fédération mais ils ne font rien alors qu’ils ont du matériel. Du coup, je vais en acheter pour aider les petits car ça leur sert. C’est pour aider les gens…
Tu a demandé à la fédération de t’aider ?
Je suis allé les voir. Car avant j’étais entraîneur Je travaillais avec une équipe du quartier. J’étais joueur aux Ouragans. L’équipe était vraiment au top. Mais en 2006 j’ai arrêté pour devenir entraîneur et travailler avec les petits. J’ai entraîné presque tous les joueurs de Moroni avant qu’ils n’entrent dans la fédération. Avant il n’y avait pas d’école de foot. Elle a été crée en 2012. Je leur ai demandé de nous donner des ballons. Je leur ai dit que j’étais à Anjouan et que je n’entraînais pas d’équipe car je travaillais auprès des petits. Ils ont refusé de me donner du matériel.
Tu les entraînes où ? Le matériel tu le trouves comment ?
C’est moi qui achète le matériel, les ballons. Je les fais jouer sur tous les terrains, même sur les petits, sur les terrains de quartiers… J’interpelle les enfants, je leur donne rendez-vous et ensuite je leur montre des techniques de jeu. A Anjouan, j’ai joué sur tous les terrains. Je connais tout le monde, tous les terrains, tous les jeunes. C’est malheureux de laisser les enfants comme ça…
T’as gardé contact avec les enfants que t’as coaché ?
Oui, j’ai gardé contact. Parfois ils m’appellent. Le 10 août je vais aller à Anjouan car il y a 8 mois j’ai réussi à avoir un terrain dans une ville de Moya car il n’y en avait pas. On a profité des élections législatives pour regrouper tous les gens de la ville, petits et grands, pour demander à un candidat de nous faire un terrain de football. On lui a dit qu’on donnerait notre bulletin de vote en échange. On l’a soutenu et on a eu le terrain. Ils l’ont fini pendant le ramadan. Ils m’ont appelé pour me dire « C’est bon ! On a fini le terrain ! Il ne reste plus que les poteaux et les filets ! » Je leur ai répondu « Attendez, j’arrive ! Je les ramène ! » rires L’éducation passe par le football. C’est la solution. Au moment de jouer, tu peux échanger. Le jeune va jouer mais il va à l’école aussi. Car le foot est une passion mais pas forcément une profession. C’est un espace d’échanges. Quand il est en vacances, pour trouver des gens avec qui passer le temps, le jeune se trouve sur le terrain.
Tu as créé une association pour ça ?
Oui. Elle existe depuis 2010. Elle s’appelle l’Association des Jeunes de la rue. Il y a des gens, des entraîneurs qui travaillent avec les jeunes dans le cadre de l’association. On organise des tournois entre les jeunes. On les entraîne.
Conclusion ?
Il faut aider les jeunes. Ce que je fais, c’est pour les aider. Il faut que les jeunes soient volontaires. Il faut savoir donner et aider. Lorsque tu aides un enfant, un jeune, il devient très reconnaissant et un jour ça portera ses fruits. Par exemple, tu peux le trouver assis sous un manguier, tu l’appelles, tu lui demandes d’aller chercher quelque chose et il le fera. Je voudrais qu’il y ait des gens qui aident et s’investissent car nous sommes dans des quartiers difficiles, Caltex et Madjajou, où les jeunes sont délaissés. Nous devons leur transmettre des messages, les éduquer et les accompagner dans leur passion. C’est d’ailleurs ce qui explique qu’il y ait des jeunes qui viennent d’autres quartiers pour venir jouer avec nous…
Maïne
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